Isabelle Orsini
Isabelle Orsini
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Bénédicte de Moulins.
Au cœur de l’être, à l’encre noire.
Baignée dans « l’univers-inventaire » des rêves d’Henri Michaux, dans l’exploration intérieure de l’être, Bénédicte de Moulins cartographie à l’encre noire une géographie mentale de l’individu , être de chair et d’éther, de chair et de pensée dans son rapport au monde.
B de M sonde nos paysages intérieurs, les émotions du dedans , le bouillonnement intérieur de l’âme et l’encre ici fait son œuvre : libre comme le rêve ou la pensée vagabonde, elle fuse dans l’eau, glisse et s’épand, tache ou trace.
Dans un geste spontané, Bénédicte jette un élan vital, suggère sur le vif dans un mouvement ample et lyrique, des traits humains à peine esquissés parfois. La forme naît de l’alchimie entre la matière et l’élan gestuel : de l’encre qui coule et du geste qui impulse le mouvement et donne du sens. Alchimie du corps et de l’esprit: l’enveloppe corporelle expulse dans un geste, le bouillonnement du dedans.
Ses portraits-émotions, d’une vitalité bouleversante explorent l’être au plus profond. Ils sont une sorte de cartographie mentale des sentiments dans l’instant et leur expression visible, un paysage d’intériorité: cris , arrachements, déchirement , mouvement ample et rapide, on sent l’être profondément en lui –même, basculant la tête en arrière, lançant un cri guttural ...
Les personnages de Bénédicte n’existent que dans leur mouvement, mouvement physique ou intérieur. Rien n’est figé, la vie pulse dans l’encre dense ou évanescente. On devine à peine les traits, parfois seuls surgit un mouvement ou un regard, la vibration intérieure, l ‘étincelle, la lumière, le petit rien qui dit tout, qui révèle l’âme.
Le « triptyque des cerveaux » venu après les portraits émotions, traduit l’échauffement de l’esprit qui s’emballe et la mécanique intérieure de l’individu qui ne parvient pas à canaliser toute l’énergie qui naît en lui : trois êtres, mi-corps de profil, chacun immobile, crâne hydrocéphale. On sent la torture intérieure, la tension de l’enveloppe crânienne, du corps qui peine à contenir l’intense remue méninges intérieur. On devine une éruption de mots libérateurs urgente et nécessaire, mais on sent le repli sur soi, les mots qui restent à l’intérieur, la tête qui se paralyse face à l’esprit qui s’échauffe et l’implosion cérébrale qui menace.
Alors la ligne de plus en plus présente dans les œuvres de Bénédicte prend ici tout son sens.
La ligne est celle d’un encéphalogramme.
C’est la pensée, le conscient et l’inconscient, les rêves , les cauchemars, les petits faits divers-pensées du quotidien de l’être qui déferlent en vitesse et débordent sur le papier.
Ce sont les mots, les pensées automatiques qui jaillissent du cerveau. Dire, dire et crier, expulser à flot incessant notre remous intérieur.
Les mots qui s’arrachent déferlent s’écrivent et emplissent tout l’espace. B de M explore les labyrinthes du cerveau, elle investit tous les rouages de la mécanique mentale, mécanique ininterrompue au gré des sommeils et des veilles.
Ainsi la tache, la forme, celle qui renvoie au corps, cet organisme vivant, ce contenant de pensées continuelles rencontre la ligne qui est aussi la phrase qui dit l’alchimie intérieure.
Les lignes les mots, les textes, l’écrit peuplent les papiers de Bénédicte, en filigrane ou en rehaut.
La dualité de la tâche et de la ligne, de la forme et de la matière, du retenu et du dit, du sorti et du gardé raconte l’homme et son rapport intime au monde.
La ligne renvoie aussi au minéral cher à Bénédicte, au végétal, à l’arbre qui se raconte en lignes dans son écorce et s’élance d’un trait vers le ciel - d’une coulée d’encre pour B de M...
La ligne est ce trait d’union, ce lien entre deux matrices : le cerveau matrice de l’émotion et la terre matrice organique et nourricière qui impulse la vie.
La ligne est donc ce lien entre le corps et la pensée, entre l’homme et le minéral, l’organique…la terre. La ligne, celle de l’arbre est aussi le point de rencontre entre le ciel et la terre.
La ligne… qui expulse l’énergie du dedans et qui dit, répand le dedans dehors pour que l’homme communie au monde… Dire pour communier au monde . Dire par ce corps, sorte de médium entre le ressenti profond de l’être et l’univers… Comme si l’univers était le seul interlocuteur de l’homme.
On devine dans l’œuvre de Bénédicte la limite entre la vie et la mort, on est souvent au bord du basculement dans des émotions fortes, qui ressembleraient à une joie débordante, à une grosse panique, à une terreur existentielle, à un sursaut d’élan vital. L’être y est toujours présent dans son rapport à la vie et à l’univers, comme s’il s’arrachait du passé pour crier son existence, sa petite place dans le vaste monde.
Isabelle Orsini. 2009
Mais dis moi toi, comment tu as fait pour si bien deviner entre mes lignes?Je suis atteinte du fond du coeur par tant de justesse et d'adéquation entre tes mots et ce que j'ai à exprimer.Ce qui est beau c'est ce côté impulsif du premier jet , comme si tu avais trouvé mon rythme, presque une litanie? non? Merci Isa...Bénédicte.