Isabelle Orsini
Isabelle Orsini
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Les Toiles de Sophie Beguin-Billecocq
Mots d’hier, vie d’aujourd’hui et histoires intemporelles.
Par où entrer dans l’univers de Sophie? Par ses personnages évidemment. Ils sont si grands qu’ils occupent tout l’espace. Néanmoins, on les cherche, engoncés dans leurs vêtements, perdus dans leurs beaux habits. Ils ressembleraient presque à des cintres, à des portes manteaux et seraient un prétexte, un présentoir de mode – mode années 50- XXème siècle, sur le carton d’un styliste.
Effacés derrière l’apparence, ils sont pourtant si présents. La solitude gonfle l’habit, l’être se sent minuscule - un trait - sans bras ni mains. Et ses congénères lui sont semblables. Côte à côte, dans certaines toiles, manches absentes ou le long du corps, ils expriment chacun leur solitude bien qu’ils soient ensemble.
Typographiques, les toiles sont jalonnées de mots. Mots découpés, collés qui racontent en bribes des histoires, celles, intimes de ses personnages cachés derrière leurs vêtements. Alors les mots n’en finissent pas de raconter. Des histoires possibles, des histoires d’adultes, des histoires d’enfance, histoires d’enfants pas trop sages, un goût Comtesse de Ségur-mode XXème siècle.
Esseulés les mots, à l’image des personnages qu’ils racontent, perdus dans l’aplat du fond, comme des paroles dans le silence. Mais les mots sont bavards, c’est à nous de les assembler, à nous de deviner l‘histoire. Elle peut être drôle, on sourit souvent, on sent percer la joie, l‘insouciance de l’enfance.
Les toiles de Sophie mêlent peinture (ses personnages) et collage. Et là, Sophie est historienne de l’intime, une historienne qui ne se dit pas mais qui historie à sa manière au fil de ses journées. Une chineuse de vieux journaux, de papiers jaunis, lustrés par le temps. Sophie emmagasine l’archive, l’archive des petits riens, des anecdotes, de la vie privée, des grandes et petites modes, archives au fil des générations…. Ses sources sont les magazines des années 20 aux années 60. Sophie dans son atelier se passionne de les lire, s’amuse des histoires, fait des parallèles avec aujourd’hui. Mais Sophie est une archiviste particulière à en faire frémir les collectionneurs... Elle œuvre avec l’Histoire. À sa manière, elle désacralise l’archive, la dépèce, l’assassine, la met en pièces. Elle découpe le plus simplement du monde ces papiers que d’autres jugeraient précieux. Elle lit, garde le sens pour elle, esseule, déconnecte les mots et nous livre des bribes de sens. A nous de recomposer une histoire possible d’aujourd’hui avec des mots d’hier, chargés d’une histoire dont on ne connaît plus le fil. Un aller-retour entre passé et présent, dire aujourd’hui avec les mots d’hier, une manière aussi pour Sophie de nous faire remarquer que les petits et grands questionnements existentiels, au-delà des modes et des générations sont finalement les mêmes.
Ses toiles mêlent mots d’hier, vie d’aujourd’hui et histoires intemporelles, l’Histoire toujours en filigrane, couleurs vives du présent et tons passés, délavés par le temps, par la vie qui s’écoule. Mots, couleurs… mêlés que Sophie fige sous le glacis d’un vernis.
Isabelle Orsini. Février 2008.